Le portage de foncier au service de l’installation en agriculture
Vu politiquement comme l’une des solutions pour faciliter l’accès au foncier, les acteurs du portage se multiplient ces dernières années.
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Un million d’hectares changent d’exploitants chaque année, que ce soit en propriété ou en fermage, dont 500 000 hectares pour l’installation. C’est le constat dressé par le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) dans un rapport de février 2023. Alors qu’un agriculteur sur deux partira à la retraite d’ici à 2030, ce sont six millions d’hectares qui seront libérés sur la période, selon un autre rapport cette fois-ci dévoilé par Terre de liens le 20 février 2024. Alors que le taux de renouvellement est de deux installations pour trois départs, dans dix ans il y aura un tiers de ces six millions d’hectares pour lesquels il faudra trouver les moyens de transmettre.
La réussite du renouvellement des générations en agriculture dépendra en partie de la faculté à installer les fameux « Nima », les non-issus du milieu agricole. Ne compter que sur les descendants d’agriculteurs ne suffira pas. Mais ne bénéficiant pas toujours des ressources ou du patrimoine familial nécessaire, l’accès au foncier peut se révéler compliqué pour des Nima, qui sont de plus en plus nombreux à se porter candidat à l’installation. Ils sont 60 % à se renseigner auprès des points accueil installation (PAI), selon Jeunes Agriculteurs. Au point que le CGAAER, qui conseille le ministère de l’Agriculture, qualifie de « nécessité » le portage du foncier agricole.
Près de 14 millions d’hectares loués à des tiers
Des acteurs privés ou publics acquièrent par ce schéma la propriété de terres avant de les louer, à plus ou moins long terme, à des futurs installés ou plus marginalement à des agriculteurs déjà installés pour les maintenir en place. L’objectif est de libérer le repreneur de cette charge foncière, et surtout financière, en la faisant supporter par un tiers qui trouve sa contrepartie dans la rentabilité de son investissement. Selon les fonds, les repreneurs ont la possibilité ou l’obligation d’acquérir ensuite à un moment de leur carrière le foncier loué.
Aujourd’hui, ce portage est essentiellement assuré par les propriétaires bailleurs particuliers et leurs descendants. 80 % des terres mises en fermage appartiennent à des agriculteurs retraités ou à leurs descendants. Au nombre de plus de 2 millions, ces bailleurs privés louent 21 millions d’hectares (sur 26 millions d’hectares de surface agricole utilisée) pour un capital théorique de 130 milliards d’euros (100 milliards d’euros en appliquant une réduction pour terre occupée), rappelle le CGAAER. Sur ces 21 millions, près de 14 millions sont loués à des tiers et 7 millions sont loués ou mis à la disposition d’une société dont le propriétaire est associé exploitant.
Mais la situation des propriétaires bailleurs se dégrade. Le statut du fermage peine aujourd’hui à maintenir l’équilibre entre les preneurs et les propriétaires bailleurs. Pour le CGAAER, des mesures sont nécessaires pour convaincre ces propriétaires bailleurs de conserver leur foncier, mais aussi pour attirer des investisseurs pour prendre le relais en cas de vente. Des investisseurs qui peuvent s’impliquer dans différents fonds de portage dont le nombre se multiplie ces dernières années. Collectivités, banques, citoyens, coopératives prennent leur part dans ce mouvement dans des initiatives locales ou nationales. La profession agricole n’est pas non plus en reste, avec notamment l’exemple des groupements fonciers agricoles (GFA) mutuels créés dans la Marne dans les années soixante-dix).
Des fonds de portage qui se multiplient
Cette multiplication des acteurs naît dans les années 2000. Le plus important aujourd’hui et qui fait désormais figure d’historique est la Foncière Terre de liens créée en 2006. Elle mobilise « l’épargne citoyenne » pour acquérir des terres et installer sur des exploitations en agriculture biologique. Au 31 décembre 2023, elle compte 322 fermes en activité, 9 900 hectares acquis et 162 millions d’euros de fonds levés.
Depuis, d’autres opérateurs régionaux et nationaux ont émergé. C’est le cas notamment de Feve. En trois ans, il annonce avoir financé 16 fermes pour une vingtaine d’installations avec un objectif de 25 nouvelles fermes financées en 2024. Des foncières se mettent également en place pour adosser au portage du foncier la production d’énergie. C’est le cas de la société Terravene créée sous l’impulsion du producteur d’énergie Voltalia. Elle a pour vocation d’acquérir des propriétés pour les louer à des porteurs de projets qui souhaitent s’engager en agrivoltaïsme. Créé en 2022, le fonds a acquis deux exploitations dans l’Aude et dans le Cher.
Les acteurs publics, régions et communes, complètent le paysage. En Occitanie par exemple, la région a lancé en 2021 l’expérimentation de la Foncière agricole d’Occitanie avant une création officielle en juin 2022. Société privée, son actionnariat est public. Pour assurer leurs approvisionnements, les coopératives agricoles s’intéressent aussi à l’acquisition de foncier.
Ces acteurs sont divers dans la composition de leurs actionnariats (citoyens, publics, institutionnels privés) comme dans leur modèle d’acquisition et de location à plus ou moins long terme à l’exploitant agricole. À la fin du contrat, ce dernier n’a pas toujours la possibilité de racheter les terres. Quand il est autorisé, cet achat est obligatoire ou facultatif. Là aussi, les conditions pour fixer le prix de revente varient selon les fonds. L’exploitant doit respecter le plus souvent un cahier des charges qui peut l’orienter vers des pratiques agroécologiques ou l’agriculture biologique. En plus du fermage qui peut être majoré, le fermier peut aussi avoir des frais à régler.
L’État promet 400 millions d’euros en 2024…
Toutes ces initiatives locales et nationales pourront bénéficier d’un prochain coup de pouce. Face à la nécessité d’attirer de nouveaux capitaux pour faciliter l’accès au foncier, Emmanuel Macron avait promis en septembre 2022 la création d’un fonds « entrepreneurs du vivant » doté de 400 millions d’euros, un montant qui dépasse ceux déjà levés dans tous les fonds de portage existants.
Ce fonds devrait être déployé en 2024 selon le calendrier présenté dans le pacte d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture dévoilé en décembre dernier. Ce fonds sera géré par la Banque des territoires de la Caisse des dépôts qui prendra des participations dans les fonds de portage régionaux ou nationaux déjà existants. La Caisse des dépôts est aussi attendue par les Safer pour lancer leur fonds Elan.
Dans le même temps, une expertise sera menée pour étudier la possibilité de faire évoluer le statut de certaines sociétés civiles agricoles en particulier des EARL « pour faciliter le portage des capitaux par des personnes morales, sans fragiliser la maîtrise de celui-ci par les agriculteurs » peut-on lire dans le pacte.
… et d’attirer les épargnants avec le GFAI
Toujours pour faciliter l’accès au foncier, le gouvernement envisage d’inscrire dans le projet de loi d’orientation en faveur du renouvellement des générations, qui doit être déposé au Conseil d’État durant ce mois, la création des groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI) avec la possibilité d’un recours public à l’épargne.
L’objectif est d’attirer des capitaux privés pour « financer l’effort d’investissement nécessaire lors de l’installation », précise le gouvernement. Une idée qui n’est pas si nouvelle. « Dans les années quatre-vingts, les banques ont développé des GFA, souvent viticoles, en commercialisant des parts sociales auprès d’investisseurs personnes physique, principalement dans une logique patrimoniale », écrit le CGAAER. Mais l’expérience n’a pas été une franche réussite et la plupart de ces GFA sont arrivés à leur terme aujourd’hui.
Le modèle devra être adapté pour réussir cette fois tout en sachant qu’il ne fait déjà pas l’unanimité. Dans son rapport publié le 20 février 2024, Terre de liens avertissait sur un risque de « financiarisation ». Le gouvernement pourrait s’inspirer de la proposition de loi votée par le Sénat, le 30 octobre 2023, pour ouvrir les GFA aux épargnants ainsi qu’à la proposition de loi déposée une semaine avant à l’Assemblée nationale par le député de la majorité Eric Girardin.
Au Sénat, le ministre de l’Agriculture avait déclaré identifier deux avantages aux GFAI : « la capacité à augmenter le nombre d’investisseurs dans le secteur du foncier agricole et à apporter de nouveaux capitaux dans les exploitations agricoles » et l’atteinte « d’une profondeur de marché de 100 millions d’euros par an ».
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